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juillet 18

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Série, projet, contraintes (ou pourquoi manger des coquillettes tous les jours )

By ManuBZH

juillet 18, 2021


Tout photographe a un jour buté sur ce vocabulaire aux contours flous. Qu’est-ce qu’une série photo ? Comment la différencier d’un projet photo ? Et pourquoi certains s’imposent-ils des contraintes ?

Je vais essayer de démêler ça. A ma sauce évidemment. Qui sera peut-être un peu piquante.

Vous l’aurez remarqué, ma galerie photos est divisée en 3 grands thèmes, photos de paysagephotos urbaines et photos abstraites, chacun des thèmes comprenant une ou plusieurs séries.

Je présente donc simultanément plusieurs séries, qui évoluent au fur et à mesure des photos que je prends.

Et c’est maintenant que commencent à s’abattre les foudres d’une partie des photographes : les théoriciens.

Dans mon billet précédent sur le matériel et la technique photo, j’avais parlé de ceux que j’appelle les vénérateurs de la technique, qui ne voient la photo que sous l’angle matériel. Voici maintenant les théoriciens de la photos, qui ne jurent que par l’analyse et la méthode.

Partons découvrir le monde mystérieux des intellectuels de la photo.

L’ingénierie d’une série photo.

Les théoriciens considèrent qu’une photo n’a d’intérêt que si elle est le fruit d’un processus méthodique qui conduit à générer une série.

Pour créer une série, ça ressemble un peu à de l’ingénierie (domaine que je connais bien) . Il faut des données d’entrées, définir l’objet d’étude, les contraintes, les moyens, les procédures, une logique, etc…

Si possible, il faut habiller l’ensemble avec un discours que l’on qualifiera de bullshit. Exemple de série :

  • J’ai décidé de prendre toutes les bouches d’égout de ma ville, la nuit, en n’utilisant que mon Polaroid. J’interroge ainsi le rapport que l’on a avec la vie nocturne et souterraine, en ne montrant que la porte d’entrée de ce monde qui nous est inconnu.
  • Mon projet est d’immortaliser la vie trépidante de mon quartier en prenant en photo les gens qui passent sur les passages pour piétons. Et entre 16 et 18h, car c’est à cette heure-là que la magie opère. Je tiens aussi à garder un côté chasseur. Je prends donc mes photos depuis mon balcon avec mon ultrazoom Tamron 800m f/4.

OK, je concède qu’il y a pas mal de caricature dans mes deux exemples fictifs, mais vous avez saisi l’idée.

Le problème, c’est que ce mode de pensée conduit à une sur-intellectualisation du travail photographique. Au point que ça en freine certains. Ils ont tellement peur de violer la Sainte Théorie qu’ils préfèrent ne rien faire que de ne pas réaliser un travail photographique chimiquement pur.

Mais attendez la suite, nous ne sommes pas au bout de tous les commandements !

Série ou projet ? En fait, on s’en fout

Voici un autre débat qui obsède les théoriciens : qu’est-ce qu’une série, qu’est-ce qu’un projet ?

L’usage veut que la série soit une collection de photos cohérente entre elles, en nombre relativement limité (une douzaine, une vingtaine, une cinquantaine, peu importe).

Un projet serait un travail au cours beaucoup plus long et à l’approche plus large. Par exemple : documenter la vie en confinement durant les cinquante prochaines années et traiter les évolutions sociétales qui en découlent (sujet purement fictif).

Dans la pratique, la frontière est très floue entre série et projet. Chercher à les différencier est aussi pertinent que chercher à recréer la pyramide de Kheops brique par brique en pâte à sel. Ça intéressera les spécialistes, mais la 99.9% des gens n’en auront rien à foutre.

Ainsi, je parle indifféremment de projet ou de série, comme une collection de photos ayant un lien entre elles. C’est tout, c’est simple, et ça suffit. Je ne vois pas d’intérêt à inventer de nouvelles dichotomies quand il n’y en a pas besoin.

A part pour se pavaner dans les salons ou les expositions en proclamant « Moui, en fait c’est un peu plus compliqué que ça ».

Il est important aussi de dire qu’une photo peut très bien se suffire à elle-même, elle n’a pas forcément besoin de se trouver dans un corpus, projet ou série, pour avoir un message ou une histoire. Un exemple au hasard, ou bien celui-ci.

Coquillettes sauce piquante
Pourquoi cette image ? J’y viens…

Avoir un seul sujet et s’y tenir

Vous vous voyez manger des coquillettes tous les jours ?

Avec toujours la même sauce, tant qu’à faire ?

Eh bien, pour moi, ne se concentrer que sur un seul sujet, ou le traiter d’une façon unique, c’est ça. C’est équivalent à manger des coquillettes tous les jours. Certains en sont ravis, grand bien leur fasse, mais moi j’ai besoin de plus de diversité.

Outre le fort risque d’ennui à ne traiter qu’un seul sujet, se cantonner à une idée unique est périlleux. C’est risquer de se retrouver sans rien de valable si l’on se rend compte qu’on a fait fausse route.



Se donner des contraintes

Il faudrait donc manger des coquillettes tous les jours. Mais imaginez qu’on vous dise en plus : mangez-les brûlantes et avec les mains, c’est la seule de véritable façon de les apprécier, vous n’en serez que plus satisfait.

Bizarre, non ?

Parmi les conseils que j’ai pu lire, il faudrait se donner des contraintes pour pouvoir réaliser une série ou un projet. Par exemple, n’utiliser qu’une focale fixe, ne photographier qu’entre 12 et 14h, n’utiliser que le bras gauche, etc…

Alors, oui, les contraintes peuvent déverrouiller la créativité, c’est indéniable. Il n’y a qu’à voir les projets photos qui ont fleuri avec les confinements. Là, les contraintes sont nettes : photographier en restant chez soi, ou dans un périmètre proche de chez soi (1 km maximum) pendant un temps limité (1 heure).

Pourtant, les contraintes, on les collectionne déjà !

Mais ce qui m’ennuie ici, c’est l’injonction qui vient avec ça. Sans contraintes, la série n’aurait que peu de valeur.

  • Les contraintes, on les subit. Se donner des contraintes, c’est du masochisme, comme se frotter les gencives avec des ronces enveloppées dans orties fraîches. Et pour moi, la photo est un plaisir, et si c’est pour se faire du mal, je ne vois pas l’intérêt.
  • S’imposer des contraintes, ça revient pour moi à recourir à un artifice pour trouver une créativité qui fait défaut. Ça peut parfois marcher en cas de panne, comme un médicament soigne ponctuellement une maladie. Si c’est systématique, ça devient une drogue comme Gregory House avec sa Vicodin. C’est le signe que le problème est probablement ailleurs que dans le choix de la contrainte.
  • Ensuite, pourquoi s’ajouter des contraintes quand on en a déjà tout un réseau qui s’entremêlent ? Par exemple, en allant dans un pays étranger, il faut s’habituer à la langue, au climat, à la culture, aux lois, etc. Comme si ce n’était pas assez, il faudrait encore s’ajouter des contraintes pour donner du sens à la série de photos ?

En résumé, avoir des contraintes, c’est inévitable, mais c’est bien parce que ça booste la créativité. En revanche, s’en imposer, revient se donner un dopant pour pallier ses (supposés) manques.

Et si on apprivoisait l’existant ?

Les contraintes, je les ai déjà avec moi. Je ne peux consacrer du temps aux photos qu’en début ou fin de journée. (Entre les deux, il se trouve que j’ai un métier qui m’accapare un peu). De plus, j’habite une région à la météo, disons, capricieuse et parfois humide, les lumières et les couleurs sont instables et peuvent changer en quelques secondes.

Ça fait déjà beaucoup.

Je préfère me donner des grandes lignes directrices, des principes qui me servent de guides pour la suite. Les miennes ne sont pas difficiles à trouver, et je les partage volontiers : l’univers de la mer, les grands espaces, la couleur, la lumière, peu de présence humaine, le dialogue intérieur, le minimalisme. Il y en a d’autres, mais peu importe.

Ces grands principes ne sont pas là pour être systématiquement appliqués pour toutes les photos : à un instant T, certains sont plus pertinents que d’autres. C’est la grande différence avec les contraintes qui doivent être systématiquement prises en compte, sinon, ça « casse » la série.

Une série se nourrit des autres

C’est pareil avec l’idée du sujet unique (les fameuses coquillettes).

Travailler sans arrêt sur la même série m’ennuie assez rapidement. J’ai besoin d’avoir plusieurs projets en cours pour me nourrir.

Cette diversité n’est pas de l’éparpillement. En fonction de différentes conditions, je peux choisir de me consacrer à un projet plus qu’un autre, voire quelquefois plusieurs en même temps. Il n’y a aucune loi divine de la photographie qui impose de ne se consacrer qu’à une seule idée à la fois.

Chez moi, les idées germent peu à peu, mutent, évoluent, se fécondent au fur et à mesure pour faire naître un (ou plusieurs) fils conducteurs.

Quelque fois, ça fonctionne, d’autre fois, non. Et dans ce cas ce n’est pas grave puisqu’en fusionnant avec les autres idées en cours, ça sert d’expérience pour la suite.

Peut-être que dans la durée, une seule finira par avoir le dessus sur les autres. Je la verrai alors comme la résultante de tout ce qu’il y aura eu en amont. J’ai donc tout à gagner à faire vivre plusieurs projets en parallèle.

Donnez-vous un peu de liberté, que diable

Pour moi, il n’y a pas de règles à respecter en photographie, pas plus dans la composition (coucou la règle des tiers) que dans la façon de concevoir son travail. Je parle bien évidemment ici de photos que nous qualifierons d’artistiques, et non de photo corporate ou de packshot ou la liberté de s’exprimer est relativement réduite.

Libérez-vous des contraintes techniques artificielles.

Libérez-vous aussi de la sur-intellectualisation.

Et faites des photos. Tout simplement.

Le reste suivra.

Choisir sa propre voie.

Il faut autant se méfier des ayatollahs de la techniques que des théoriciens (je pourrais presque dire théologiens) de la photo. Ils sont aussi néfastes les uns que les autres pour qui veut s’épanouir dans sa pratique.

Comme souvent, le chemin est quelque part entre ces 2 extrêmes. Il faut savoir prendre ces conseils de tous bords, mais surtout les digérer pour les interpréter à sa propre façon, selon ses propres critères.

C’est en tous cas ce que j’ai choisi de faire. De toutes façons, je suis trop indépendant d’esprit pour m’affilier à l’une ou l’autre de ces obédiences. Je ne sais pas si je suis sur le bon chemin, en tous cas, c’est celui que je choisis.

OK, la symbolique de la ligne directrice et du phare qui guide est un peu lourde 🙂


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